Présentation

Le Grand Orgue de l’Église Notre-Dame du Chant d’Oiseau

_DSC0018II est peu commun de nos jours d’installer un orgue de grande taille dans un lieu de culte. En effet, on ne réussit pas toujours à intégrer le dépouillement de la liturgie visant une plus grande authenticité des rites et le désir d’ouverture à toutes les activités humaines y compris le domaine artistique. Par ailleurs, le coût d’un grand orgue peut soulever légitimement bien des questions d’opportunité.

Ces difficultés furent résolues au Chant d’Oiseau en donnant à l’Orgue une triple vocation : la liturgie sans nul doute, mais aussi l’enseignement de la musique (les académies de la Commune de Woluwe-Saint-Pierre) et l’organisation de concerts de haut niveau (asbl « Musique au Chant d’Oiseau »).

Un tel accord a permis de concentrer les moyens disponibles pour créer un instrument qu’aucune partie n’aurait pu envisager isolément.

Cette gestation trop rare n’a pu connaître un terme heureux que grâce à l’élévation de pensée et au dévouement de quelques amis du Chant d’Oiseau. Puissent-ils savourer la musique qui en fera désormais vibrer les voûtes et se reconnaître dans tout applaudissement qui la saluera.

L’Orgue du Chant d’Oiseau compte assurément parmi les plus grands instruments modernes que possède l’Europe. Ce colosse de près de 15 tonnes et de 14,5m de hauteur est doté d’une puissance étonnante (94 dB) qui lui vaut dans le milieu musical professionnel le surnom d’ « Orgue du diable ».

Sa réalisation a été confiée au facteur allemand Detlef-Kleuker de Bielefeld après adjudication internationale et a occupé 35 techniciens hautement qualifiés pendant deux ans. En amont de cette remarquable équipe, deux spécialistes français ont collaboré avec l’organiste Jean Guillou pour la conception musicale et l’architecte Jean Marot pour l’esthétique du buffet.

Avant que débute toute étude, des coups de revolver durent être tirés dans l’église afin de mesurer, sous le contrôle d’une équipe universitaire, les paramètres acoustiques de cet immense vaisseau (98 m de longueur pour un volume de 22000 mètres cubes).

Une première phase de construction a eu lieu en Allemagne où l’Orgue a été partiellement monté, testé mécaniquement, puis démonté et expédié vers la Belgique. L’église s’est alors transformée en un véritable chantier pendant plus de trois mois, à l’issue duquel un autre mois fut consacré uniquement à l’accord et à l’harmonisation des quelques quatre mille tuyaux installés.

Une technologie nouvelle

Les rudes conditions climatiques auxquelles est soumis un orgue dans une église se sont vues artificiellement compliquées par l’implantation et la radicalisation des techniques de chauffage. Le système à air pulsé, presque généralisé actuellement, combine les trois principaux prédateurs possibles: écarts de température très brutaux, déplacement rapide de particules poussiéreuses et dessèchement de l’air. Ces facteurs ont des conséquences désastreuses au niveau des sommiers : durcissement et rupture des membranes en peau, déformation et fendillement des éléments en bois. On peut dès lors comprendre que les problèmes d’étanchéité soient devenus de véritables cauchemars pour les facteurs d’Orgues d’aujourd’hui.

Pour pallier à ces inconvénients, le constructeur Detlef Kleuker a fait appel à une technologie très récente issue de la recherche spatiale pour les besoins de laquelle de nouveaux matériaux pouvant résister aux sollicitations thermiques les plus intenses ont été élaborés. Il en est résulté des traitements de produits organiques de synthèse compressés à très haute température. En dotant ses ateliers de telles presses thermochimiques, la firme Detlef Kleuker a ouvert la voie vers une nouvelle génération d’instruments d’une fiabilité remarquable. Le bronze et des matières spécialement élaborées ont également remplacé certains éléments traditionnellement en bois.

Un tel progrès dans la matière même de la machine-orgue, ne pouvait être satisfaisant sans une avance technologique au moins égale au niveau de sa mécanique.

En effet, pour faire parler un tuyau, il faut ouvrir une soupape libérant de l’air sous pression. Le mécanisme qui transmet la commande depuis le doigt de l’organiste jusqu’à la soupape s’appelle traction. Au début de ce siècle est apparue la traction pneumatique, bouleversant la séculaire tradition de la traction mécanique. Bien qu’elle permette à l’organiste de jouer sans effort, la traction pneumatique fut vite abandonnée parce que d’une réponse trop lente et d’une fiabilité médiocre. Elle fut suivie ensuite par la traction électro-pneumatique atténuant les inconvénients de la précédente mais présentant un handicap équivalent: la rupture dans le contrôle que l’organiste doit pouvoir exercer naturellement sur l’ordre musical véhiculé vers la soupape. Dès lors, la traction mécanique est revenue à l’honneur, bien que parfois lourde à manipuler dans le cas de très grands instruments.

Au Chant d’Oiseau, un système comptant 215 électro-aimants a été installé sur le parcours de la mécanique afin que l’organiste ne sente aucune différence de toucher entre l’ouverture d’une ou de plusieurs soupapes. La coordination de ce système est assurée par un circuit électronique couplé à un tableau de contrôle permettant de tester chacune des fonctions.

L’Orgue peut se comparer à un orchestre. Le jeu subtil des couleurs sonores s’obtient par savant mélange entre les divers instruments qu’il faut tantôt faire parler, tantôt faire taire. Ainsi chaque jeu d’orgue doit pouvoir à tout moment être appelé à s’ouvrir ou à se fermer instantanément. Le registre qui réalise cette fonction est une plaque perforée disposée en dessous de tous les tuyaux appartenant à un mémo jeu. Selon sa position, les trous correspondent ou non aux ouvertures du sommier et l’air peut ou ne peut pas passer: ainsi l’ensemble des tuyaux de ce jeu pourra parler ou sera muet. Pour remplir cette tache avec rapidité et silence, 71 moteurs spécialement conçus sont commandés par un groupe de relais tout aussi rapides et silencieux. Le tout est raccordé à un réseau de huit mémoires électroniques programmables (combinaisons Setzer) et à un système de crescendo en dix étapes ajustables par un tableau de fiches.

Un instrument révolutionnaire habillé d’une sculpture contemporaine

Le problème esthétique d’un orgue est très particulier quand on le compare à ceux posés à d’autres types de manufactures. Pour ce qui est du piano par exemple, chaque instrument de fabrication différente présentera sans doute une personnalité propre mais sans grande influence sur le répertoire exploitable : tous les pianos pourront faire chanter toutes les musiques écrites pour cet instrument.

II n’en va pas de même pour l’orgue. Un orgue conçu dans l’esthétique d’une époque et d’une région ne pourra bien souvent servir que la musique écrite dans ce contexte particulier. L’organiste se trouve donc cloisonné dans un univers sonore à géométrie variable suivant l’instrument auquel il s’assied. Au début de ce siècle, la préoccupation nouvelle de jouer aussi des musiques d’époques antérieures a suscité une génération d’instruments dits « néo-classiques » qui prétendaient faire une synthèse des tendances les plus représentatives. L’inconvénient de cette conception est de détruire tout à fait l’unité esthétique de l’orgue et d’en faire un instrument hybride sous prétexte d’y vouloir jouer toutes les musiques. Une des conséquences de cette tendance est que, depuis le début du siècle, la facture d’orgues a cessé d’évoluer. Actuellement, les instruments neufs sont tous conçus selon l’une ou l’autre tradition ancestrale mais l’orgue contemporain n’existe pas. Certains organistes s’accommodent fort bien de cette situation, d’autres moins nombreux, sont partis en guerre contre cette carence et cet immobilisme.

Parmi ces derniers, Jean Guillou (célèbre titulaire de Saint-Eustache à Paris) a publié en 1978 chez Buchet-Chastel « L’orgue, souvenir et avenir », dans lequel il expose ses nouvelles conceptions en la matière. Au lieu de rassembler dans un seul et même instrument des jeux d’esthétiques différentes, il donne à chaque jeu individuellement une valeur soliste caractérisée et les répartit sur un grand nombre de plans sonores pour en augmenter les possibilités combinatoires. Par un savant calcul de résultantes harmoniques, une importance particulière est donnée aux sons graves: le plus bas d’entre eux se situé à une fréquence de 15 Hz, aux limites extrêmes de ce que l’oreille humaine peut percevoir.

Il eut été peu logique de présenter un tel instrument dans une architecture conventionnelle. Bien qu’un atelier de facture d’orgues assume la construction du meuble contenant l’instrument (le buffet), il peut arriver dans des cas particuliers que l’on fasse appel à un architecte.

La réalisation spectaculaire de l’orgue de l’Alpe d’Huez dont la conception musicale est due à Jean Guillou, avec la collaboration de Jean Marol (architecte à Vichy) et de la manufacture d’orgues Detlef Kleuker a été l’oeuvre d’une équipe qui a su profiter de son expérience pour réaliser le superbe instrument du Chant d’Oiseau.

Pour rappeler le nom du quartier et tout en sauvegardant la rosace honorant Notre-Dame des grâces, en façade de l’édifice, Jean Marol a représenté deux oiseaux en parade nuptiale dans des boiseries aux tons contrastés : celui de gauche est en frêne, celui de droite en acajou.

L’emplacement habituel d’un grand orgue est soit la tribune, soit le jubé, plutôt rarement à même le sol, comme c’est le cas au Chant d’Oiseau. Ceci permet à de grands ensembles (choeurs et orchestres symphoniques) de se grouper autour de l’organiste et offre au public le spectacle du musicien, traditionnellement caché et dont la technique est des plus étonnante pour les yeux.

Les trompettes, placées en chamade (à l’horizontale, selon la tradition de leur origine espagnole), donnent un relief particulier à cet ensemble, tant sur le plan visuel que sur le plan sonore.

Quelques notions plus techniques à l’usage des organistes

L’orgue à jouer toutes les musiques n’existe pas ! Les efforts qui tendent à rendre un instrument polyvalent aboutissent toujours à un résultat qui peut tout au plus être honorable dans beaucoup de littératures mais dont une tendance se dégage inévitablement parmi les autres. Au Chant d’Oiseau, le spectre des musiques qu’il est possible de jouer semble beaucoup plus étendu que celui des instruments de conception néo-classique. Ceci est dû au fait que chaque jeu individuellement a été travaillé pour donner à la fois de la rondeur et de la clarté. Néanmoins, le répertoire antérieur au dix-huitième siècle risque de poser des problèmes dans la mesure où les organistes orientés plus particulièrement vers ce répertoire sont en général très scrupuleux quant à l’authenticité de la reconstitution sur base des connaissances musicologiques actuelles. Dans une telle optique, seul le répertoire du vingtième siècle pourrait donner une réelle satisfaction. A l’inverse, les interprètes qui estiment que leur rôle consiste à recréer une oeuvre sous un éclairage plus personnel peuvent parfaitement exploiter tout le répertoire, J.S. Bach y compris, à condition de s’adapter à une nouvelle technique de registration et de faire table rase de tous les réflexes traditionnels en la matière. Toutefois, la musique française de la fin du dix-neuvième siècle à nos jours, reste le créneau privilégié pour lequel l’orgue donnera le meilleur de lui-même.

Un certain nombre de particularités des registres mérite incontestablement d’être mentionné :

Les fonds, bien qu’ils soient proportionnellement peu nombreux, prennent du fait de leurs tailles très larges beaucoup de place dans l’espace sonore. On a souvent tendance à « registrer gros » sans s’en apercevoir depuis la console. Le gemshorn du récit n’est pas un jeu gambé comme on s’y attend mais bien un principal très consistant. Par conséquent, l’unda maris perdra son effet ondulatoire en le mélangeant avec le précédent. Seul le bourdon fournira une association heureuse avec l’unda maris pouvant s’apparenter au « Schwebung ».

Les anches du positif ont essentiellement une fonction soliste. Leur intégration à des ensembles est à déconseiller. Par contre, un mélange extrêmement intéressant est obtenu entre la ranquette de 16′ et l’aliquot dont les résultantes correspondent. Au grand orgue, la trompette de 8′ est relativement douce tandis que le clairon 4′ – 16′ développe une puissance nettement supérieure. La division de ce dernier a été conçue de telle manière que la partie grave en 4′ corresponde à l’étendue du pédalier (do,-soli). Vient ensuite un intervalle intermédiaire en 8′ puis le dessus en 16′ à partir du do. Les autres anches ne réservent aucune surprise particulière et s’inscrivent dans la grande tradition symphonique française.

Les mixtures, elles, réservent des surprises dans la mesure où la plupart d’entre elles possèdent des résultantes graves. Ainsi, en s’épaississant vers l’aigu, le plein jeu progressif du récit atteint une résultante de 32′. De même, au grand orgue, la grosse mixture donne une résultante de 16′ mais contient également une grosse tierce. L’autre mixture est basée sur le 8′. L’aliquot IV est un sesquialter de 16′ prolongé d’une neuvième et d’une quinzième (sur base de do, sol, mi, ré3, si). La cymbale est très aigüe (4′). Le théorbe III contient une tierce, une septième et une neuvième; sa résultante est de 32′. De même que le plein jeu progressif, il ne s’intégrera que dans de grands ensembles sauf pour l’obtention d’effets spéciaux. L’aliquot, lui, ne servira que pour de semblables effets. Les cornets descendent jusqu’au do grave en perdant toutefois leurs premiers rangs. Il est à remarquer que les combinaisons entre les divers rangs du cornet harmonique (solo) permettent d’obtenir des changements de timbre étonnants.

Le principe qui consiste à considérer chaque clavier comme une unité indépendante est totalement inapplicable au Chant d’Oiseau. Vu l’étalement de ses 46 jeux sur cinq claviers (en comptant le pédalier), l’utilisation intensive des accouplements est d’une importance capitale.

Cette composition permet ainsi une combinatoire beaucoup plus élevée d’opposition de timbres mais complique énormément la recherche d’ensembles homogènes, spécialement dans la littérature baroque dont les principes de registration sont contradictoires. Il est pourtant parfaitement possible d’obtenir un équilibre sans la traditionnelle construction pyramidale 8′, 4′, 2′, mixtures. La régistration n° 1 (p. 20-21) donne l’exemple d’un grand plenum basé sur le 16′. On peut aussi construire un plenum sur base du 8′ (n° 2) permettant un dialogue avec un second plan sonore (III) indépendant. Si on souhaite une pédale indépendante, on peut réserver le récit à cette tâche soit dans le cas d’une pédale ayant une simple fonction de basse (n° 3), soit dans le cas d’un cantus firmus (n° 4). Quelques registrations de trios (n° 5 et 6) et de chorals (n° 7 à 9) sont citées à titre d’exemple.

Dans la littérature des dix-neuvième et vingtième siècles, les problèmes sont beaucoup moins délicats. Pour la musique française, le demi grand choeur (n° 10) avec ses trois plans sonores GPR-PR-R peut être facilement obtenu grâce à l’accouplement solo-positif qui donnera a ce dernier toute la consistance nécessaire pour servir de plan intermédiaire entre le récit et le grand orgue. Pour constituer des ensembles de fonds très riches, il ne faut pas nécessairement accumuler trop de jeux. Les tailles sont tellement grandes que l’on atteint rapidement la saturation. Un ensemble de fonds doux (n° 11) ne tolère pas la grosse flûte ouverte de 16′ à la pédale, utilisable seulement à partir de registrations déjà très consistantes (n° 12).

Le schéma montre la disposition des différents sommiers à l’intérieur du buffet. La lecture permet de comprendre que la pédale, récit et le solo, qui ont tous trois une très forte présence dans l’église, sont relativement mal perçus depuis la console. Un minimum d’expérience vient rapidement à bout de cet inconvénient.

Les manuels s’étendent jusqu’au Do6 et le pédalier jusqu’au Sol3. La registration est commandée à partir de pistons électromagnétiques raccordés à un combinateur de 8 mémoires. Celles-ci sont accessibles soit manuellement sous le clavier de GO, soit avec le pied droit. Les commandes de tirasses sont également reprises aux pieds mais pas les accouplements entre manuels. L’annulateur agit sur le crescendo général (témoin allumé = annulateur en fonction). Les différentes étapes du crescendo général sont affichées au-dessus du clavier de solo par un indicateur numérique lumineux. Grâce au tableau de fiches situé dans un local technique à l’intérieur même de l’instrument, derrière la console, toute expérience de crescendo est possible. Les 60 fonctions disponibles sont câblées et peuvent être distribuées à volonté sur un tableau à 10 x 10 entrées : dix niveaux de crescendo pouvant recevoir chacun dix fonctions.